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Le théâtre, un mystère sacré qui rend vivant

Publié par jeunescathos le 6 août 2014 - A la Une, Culture & Médias

Témoignage de Jeanne, comédienne, 33 ans, co-directrice artistique de la compagnie de l’Arbre, le “théâtre d’art pour tous”, qu’elle a fondée en 2006 avec son mari Aurélien.

Compagnie de l'Arbre, le th"âtre d'art pour tousUn jour de mon enfance, en visite chez mon arrière-grand-tante Isabelle, peintre paysagiste et animalière, dans sa petite maison de Champagne, je l’entends dire à mes parents : « Toute ma vie j’ai cherché à rendre hommage à la Création ». Ces mots se sont imprimés en moi, et je n’ai cessé depuis de me demander quelle forme j’allais donner, moi, à mon amour du monde, et comment m’inscrire dans le sillage de cette très vieille petite dame au regard vif, à l’écoute de la vie. Je n’ai pas su me consacrer à un seul art ; je suis venue au théâtre, parce qu’il contient potentiellement tous les arts, et aussi par les hasards de la vie.

Rendre hommage au corps

 J’ai choisi d’exercer un art dont l’instrument est le corps. Jouer est une façon de rendre hommage à ce corps, une façon de rendre grâce, de constater que j’ai une place dans le tourbillonnement des astres, une place bien petite, mais bien concrète, ancrée sur un bout de l’espace qui a la dimension de la scène, qu’elle soit vaste ou étroite, qu’elle soit équipée, ou bricolée avec des morceaux de bois, une palette, le sable d’une place de village, le linoléum d’un foyer médicalisé… balayée par des projecteurs puissants ou par des lampes de chantier, des lampes de poche, ou cette obscure clarté qui tombe des étoiles…

Susciter la relation

L'Arbre - théâtre pour tous - 4Il n’y a pas de théâtre sans relation. « Vous savez ce qu’était le théâtre pour Eschyle ? Un comédien, un spectateur, et le soleil » m’a dit un jour un metteur en scène. Le théâtre est la façon que j’ai trouvée pour aller à la rencontre des autres. Paradoxalement, c’est en leur proposant de me regarder, moi, faire mon show, que je les rejoins : j’ai compris petit à petit que tout ce que ma sensibilité auparavant recueillait à n’en savoir que faire, toutes les émotions engrangées, et qui débordaient faute de pouvoir s’exprimer dans un cadre « normal » (celui de la discussion), ce qui m’était confié, et le désordre et la violence du monde, toutes les injustices constatées quotidiennement, tous les émerveillements aussi, les indignations, les questionnements, si je leur donnais une forme artistique, pouvait toucher d’autres personnes, créer du lien avec d’autres personnes et entre elles, susciter des paroles, faire naître un partage réel.

Participer à la vie d’un territoire

La présence réelle de nos corps sur une scène quelconque fait naître un partage réel. Le théâtre répond pour moi à un besoin très profond de communauté. Nos « Conférences Complètement Contemporaines » font salle comble : même si les programmes de télévision regorgent de spectacles humoristiques, les gens viennent nous voir pour rire ensemble et, l’âme ouverte par le rire, gravir ensemble les montagnes russes émotionnelles de notre cabaret poétique et loufoque.  Au sortir de nos représentations, ou du moins dans les jours qui suivent, les gens se parlent, les gens en parlent. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons choisi de nous enraciner en Isère : nous croyons que les artistes participent à la vie d’un territoire en créant des liens. Nous croyons que tout théâtre se doit d’être politique au sens noble du terme : qu’il parle de la cité, qu’il expose les problèmes qui se posent à la société des hommes.

Donner la parole à ceux qui ne savent pas la prendre

Tout cela ne va pas de soi, nous ne nous faisons pas que des amis, car il en est qui aimeraient nous cantonner à un rôle de divertissement, d’animation culturelle, ou encore de développement personnel. Or, les théâtreux sont par nature des empêcheurs de penser en rond ! Le théâtre est un forum. On y donne la parole à ceux qui ne savent pas la prendre. On y écoute les faibles, ceux qui n’ont pas le pouvoir. En cela, même quand il est fait par des “mécréants”, le théâtre est aussi un lieu d’Église.

Elvire c'est assez des tourments que j'endureAinsi, nous avons rendu hommage, lors d’une de nos « Conférences », aux morts de la rue dont le journal La Croix publie chaque année la liste. Le théâtre est une célébration. Quand nous jouons le Cid de Pierre Corneille, nous parlons d’une société où les vieux se verraient dénier leur rôle de transmission, et par là même, leur dignité, leur raison d’exister. Quand nous jouons le Cid, nous parlons d’une société où les jeunes souffrent parfois des décisions des vieux, mais ne se résignent pas à oublier ceux qui furent avant eux. Quand nous jouons le Cid, nous parlons d’amour et de justice. Et jouer le Cid aujourd’hui devant des adolescents, des personnes âgées, de jeunes adultes atteints d’épilepsie sévère, à l’aide de grands totems bariolés, c’est affirmer que toutes ces questions concernent tout un chacun et non pas une infime partie cultivée de la nation, c’est parier sur l’intelligence et la sensibilité de nos contemporains, quelles qu’elles soient.

Pour plus de dignité et de justice

Enfin, le théâtre est un lieu d’expérimentation d’une société où chacun aurait sa place. Sans les travailleurs de l’ombre – Laurent, le régisseur ; Justine, qui assure la gestion et le développement professionnel  de la compagnie ; les bénévoles, les petites mains… – sans la vie de troupe, le spectacle n’aurait pas lieu. L’acceptation mutuelle de nos défauts et de nos fragilités nous fait grandir. L’exigence de justesse est mise au service d’une exigence de justice, plus grande. Oui, le théâtre est un sacré mystère qui nous rend plus vivants.

Jeanne

Site internet de la Compagnie de L’Arbre
Page Facebook de la Compagnie de l’Arbre

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