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Dans un camp de réfugiés en Allemagne

Publié par jeunescathos le 24 novembre 2015 - A la Une, Société

Plus de 800 000 demandeurs d’asile et migrants sont arrivés en Europe par la mer en 2015. Selon le HCR, l’agence pour les réfugiés des Nations Unies, 84% venaient de Syrie, d’Afghanistan, d’Erythrée, de Somalie ou d’Irak, tous des pays touchés par un conflit, des violences et une insécurité généralisée, avec des gouvernements répressifs. Comment sortir de cette crise ? Comment faire la part des choses entre des réfugiés qui fuient les violences et la peur d’éventuels terroristes infiltrés ?  Béatrice, religieuse, travaille dans un camp de réfugiés en Allemagne. Elle nous partage quelques parcours de vies qu’elle a croisées.

Je suis travailleuse sociale dans un camp de premier accueil pour réfugiés. Ceux-ci sont obligés de rester dans ce genre de camp quelques mois, le temps que l’Allemagne décide de leur statut : acceptés, ou renvoyés dans leur pays. Ils viennent nous voir pour prendre des rendez-vous médicaux (ils ne parlent généralement pas allemand), demander le chemin pour aller à tel ou tel endroit dans la ville, ou la signification du courrier de l’administration qu’ils viennent de recevoir. Ces rencontres sont l’occasion parfois d’entendre un peu de leur histoire, et ce sont souvent des destinées tragiques. Cela ouvre mes horizons aux dimensions du monde, me décentre complètement, me touche parfois profondément.

M., de Syrie

Une multiprise a été installée. Dnas un camp de réfugiés en Allemagne. Crédits : Michael Bunel / CIRIC

Une multiprise a été installée. Dans un camp de réfugiés en Allemagne.
Crédits : Michael Bunel / CIRIC

Un matin, M. arrive en pleurs. Il est arrivé la veille au camp, mais sa famille est sous les bombes à Alep, en Syrie, et il n’arrive pas à avoir de nouvelles. Il me supplie, en hurlant presque, de faire quelque chose pour les siens. M. n’arrive pas à se calmer, et il ponctue toutes ses phrases par la question « est-ce que vous comprenez ? ». Cela finit par m’agacer intérieurement, car je crois d’abord qu’il confond mon impuissance, réelle et matérielle, à pouvoir faire quoi que ce soit, avec un manque d’empathie. Mais soudain, je comprends les choses autrement : M. a peur que son anglais ne soit pas assez bon pour que je comprenne ce qu’il est en train d’exprimer. Il a à peine 18 ans, il est seul, perdu dans un pays étranger à l’autre « bout » de la planète, et de fait son anglais est vraiment mauvais. Alors il a peur de ne pas pouvoir communiquer, que ses phrases même ne soient pas comprises. Je reformule calmement, dans un anglais un peu plus assuré que le sien, mais qui reste un anglais « de cuisine », ce qu’il vient de dire et que j’ai compris, lui explique comment la procédure d’asile va se dérouler pour lui et quand on pourra enfin faire quelque chose pour sa famille. Je lui propose aussi des soins pour lui, qu’il refuse catégoriquement, en disant qu’il n’en a pas besoin, et que c’est sa famille à Alep qui a besoin d’aide. Néanmoins il s’apaise et les larmes se calment. Quand je le croise ensuite dans le camp les mois qui suivent, j’ai toujours le droit à une salutation très chaleureuse avec une pointe de complicité dans le regard.

P., de Macédoine

Une volontaire aide les réfugiés à se localiser sur la carte de la ville. En Allemagne.               Crédits : Michael Bunel / CIRIC

Une volontaire aide les réfugiés à se localiser sur la carte de la ville. En Allemagne.
Crédits : Michael Bunel / CIRIC

P. vient de Macédoine. Il a une histoire sordide. Depuis tout petit, délaissé par ses parents, il passe de mains en mains, abusé de toutes les façons possibles. Devenu adulte, il tombe entre les mains d’un gang qui l’exploite et le contraint à participer à ses trafics. Depuis toujours, P. souhaite pourtant sortir de ces milieux et mener une vie normale, avec une famille et un travail. Un jour, il se rebelle, résiste et essaie de trouver refuge auprès de la police. Mais ceux du gang le retrouvent vite, et P. fait l’expérience qu’une police corrompue.. qui le livre à nouveau entre leurs mains au lieu de le protéger. Il n’a plus qu’une solution : fuir son pays. Tant qu’il y restera, le gang le retrouvera et voudra se venger à mort de sa « désobéissance » et de sa fuite. Seulement voilà, la Macédoine et les pays des Balkans ne font pas partie des pays en guerre pour les ressortissants desquels l’Allemagne offre sa protection. Alors il a très peur de ne pas pouvoir faire entendre la particularité de son histoire à lui, qui le met en danger de mort, au milieu de l’afflux massif des demandeurs d’asile des Balkans, qui seront plus que probablement refoulés… Pour tenter le tout pour le tout et montrer sa détermination à l’Allemagne, P. frappe à toutes les portes, se débrouille (bien) en anglais, et arrive comme cela, de lui-même, à décrocher un stage dans une pâtisserie réputée d’Hambourg, où il fait des merveilles, au point que les gérants lui promettent une formation, pendant laquelle il pourra rester chez eux comme apprenti… A suivre !

Z., d’Iran

Et puis je pense aussi à Z., iranienne. Je l’ai vue le jour de son arrivée au camp. Epuisée par l’exil et par la maladie qui l’handicape, une  sclérose en plaques, elle gère comme elle peut ses petites filles de 2 et 4 ans. Son mari a été tué, elle pleure quand elle en parle. Elle veut changer plusieurs fois de chambre (de « container »), et il y a toujours quelque chose qui ne va pas… est-ce aussi un besoin de relation, d’attention qui s’exprime-là ? Z. quitte un jour le camp et part en hébergement de suite. Je la retrouve un an plus tard dans le métro. C’est elle qui vient vers moi. Je mets du temps à la reconnaître : elle est rayonnante, coiffée et pouponnée, métamorphosée, et il est difficile de faire le lien avec la femme épuisée que j’ai vu arriver en Allemagne. Elle me parle en Allemand ! Elle semble pour le moment soulagée pour ce qui concerne sa maladie. Les petites filles sont là aussi, et ont beaucoup grandi. Z. me salue encore, puis tout sourire, repart… au bras d’un homme, très probablement réfugié lui aussi. Ainsi va la vie.

Il y en a bien sûr beaucoup d’autres qui m’ont marquée, et ils sont des milliers en exil! Les camps comme celui-ci sont une étape, un point de passage et de transition dans des parcours et des destins peu banals, qui nous font vraiment nous interroger sur ce que nous faisons de ce monde qui nous est confié…

Voir aussi :
Migrants : l’Eglise est-elle utopiste ?
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