Les Cristeros au cinéma
Cristeros, un film historique mexicain sur les écrans au Mexique, au Chili et aux Etats-Unis depuis 2012 sort en France dans les salles aujourd’hui le 14 mai. Critiques du jésuite Marc Rastoin et du p. Luc Lalire, responsable du Pôle Amérique Latine de la Conférence des évêques de France.
Combien de films nous permettent de réaliser au sens fort ce que signifie combattre pour sa foi ? Et mourir pour elle ? Grâce à quelques producteurs généreux, le film Cristeros sort enfin en France deux ans après qu’il ait rencontré un grand succès au Mexique. De quoi parle-t-il ? De la révolte populaire des catholiques mexicains contre le gouvernement anticlérical du président Calles. Celui-ci mettait en place des lois de plus en plus répressives interdisant quasiment toute expression publique de la foi (processions, habits sacerdotaux, etc.).
Devant la résistance, longtemps pacifique, menée par la Ligue nationale pour la défense de la liberté religieuse, le gouvernement fédéral réagit avec une brutalité inouïe : des prêtres nombreux sont fusillés, des églises profanées, un grand nombre de catholiques pendus aux poteaux télégraphiques… Alors éclata une révolte paysanne spontanée qui devint peu à peu la guerre cristera et dura de 1926 à 1929. Leurs membres furent appelés cristeros car ils combattaient au cri de ‘Vive le Christ Roi !’ (Viva el Cristo Rey !). Tous ceux qui ont lu le roman de Graham Greene, La puissance et la gloire – qui traite des mêmes événements – se souviendront de sa force et le titre américain du film lui rend hommage (Pour une plus grande gloire ; For Greater Glory).
Nous, Français, savons bien ce que peut donner une telle oppression : une bonne analogie française en est la guerre de Vendée où de pauvres paysans encadrés par quelques ex-officiers royalistes se soulevèrent pour défendre leur foi.
Le film est très fidèle à la vérité historique, ce qui devient presque parfois un handicap car de nombreux fils narratifs et épisodes se mélangent et certains épisodes écartent du récit principal. Ce désavantage narratif est accentué par une réalisation assez plate, trop académique. Le réalisateur s’est un peu trompé de siècle même si certaines scènes de bataille rappellent de bons westerns.
Ce film vaut-il le coup ? Oui ! Pour plusieurs raisons : d’abord il est honnête : il ne cherche pas à cacher les ambiguïtés de cette guerre. Si la plupart des prêtres défendirent jusqu’au bout la non-violence à l’image de celui qui est ici incarné par le légendaire Peter O’Toole, jouant quelques mois avant sa mort, certains devinrent généraux de l’armée rebelle.
Ensuite le personnage principal, celui du général en chef Enrique Gorostieta, militaire de carrière athée et franc-maçon, qui accepta de prendre la tête des bataillons rebelles au nom de la liberté est très bien joué par Andy Garcia. Son itinéraire intérieur est très bien rendu. On découvre aussi un martyr enfant au courage étonnant, José Sánchez del Rio (béatifié par Benoit XVI en 2005).
En outre, les personnages secondaires, du redoutable guérillero surnommé quatorze, en passant par l’ambassadeur américain sont bien campés. Mais la principale raison est de nous faire méditer sur la question éternelle et fondamentale des rapports entre foi et politique. Et hélas la question est d’une actualité toujours brûlante : la lutte de croyants pour la liberté religieuse contre des pouvoirs dictatoriaux et littéralement sanguinaires. Jusqu’où doit-on aller pour défendre la liberté religieuse en se voulant fidèles à l’évangile ?
Le rapport à la politique et à ses compromis, la non-violence, la défense de la foi confrontée à la persécution, Cristeros aborde tous ces sujets. Il est cependant moins génial cinématographiquement que Un homme pour l’éternité (sur Thomas More, 1969), moins unifié narrativement que Les derniers jours de Sophie Scholl (sur Sophie Scholl la jeune martyr allemande opposante au nazisme, 2007).
Comme disciples de Jésus, nous cherchons toujours à défendre nos idées et notre foi par le dialogue et la non-violence. Seul l’arbitraire le plus odieux, celui que nous avons en connu en Europe avec les totalitarismes nazi et communiste, peut justifier, parfois et à certaines conditions très strictes (que saint Thomas a longuement détaillées) que l’on prenne les armes. Cristeros nous rappelle que nos frères mexicains ont traversé une épreuve analogue. Puisse leur courage inspirer le nôtre pour servir au mieux le Christ ici et maintenant.
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« Eviter les anachronismes hasardeux »
En France, l’idée qu’on se fait de l’Amérique latine est celle d’un continent très catholique, pratiquant, même si cette pratique est teintée d’une récente prise de distance par une couche de la population. Or, c’est méconnaitre les soubresauts des histoires particulières du XIX° et XX° siècle de plusieurs pays comme l’Argentine, l’Uruguay ou encore le Mexique. Le film « Cristeros » nous introduit, dans une fresque forte, à coup de feu et de tensions violentes aux images parfois excessives, la résistance menée par une partie de la population mexicaine contre les lois de Juillet 1926, restreignant le droit de propriété de l’Église et interdisant jusqu’au culte public ! Les sanglantes représailles sont évoquées durement et longuement : l’horreur de cette guerre ne nous est pas épargnée. Un personnage intéressant s’en détache, le fameux colonel Gorostieta qui accepta de conduire –et de gagner bien des conquêtes puis de perdre la guerre. Nous est montré son itinéraire intérieur autant que guerrier.
Bien sûr, on pourra s’interroger sur les considérations diplomatiques des intérêts en jeu inhérentes à tout conflit, posant du coup la question de la justice et de la vérité. Les similitudes avec d’autres conflits du même type pourraient laisser penser à une « structuration » de l’histoire à partir du critère de la foi chrétienne et son rejet politique. Toutefois, il nous faudra toujours appliquer le principe de l’honnêteté intellectuelle et d’éviter des anachronismes par des raccourcis hasardeux.
p. Luc Lalire, responsable du Pôle Amérique Latine de la Conférence des évêques de France
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