Migrants à Calais : des visages humains pour dire la réalité
Marino, bénévole au CEDRE (Centre d’Entraide pour les Demandeurs d’asile et les Refugiés), a passé deux semaines à Calais il y a un an avec l’équipe de Young Caritas Kosovo. Ils s’appellent Ahmed, Maria, Elias, James…, ils sont Syriens, Irakiens, Erythréens, Afghans, Soudanais… Marino a croisé leur vie, un moment échouée à Calais dans l’espoir de meilleurs lendemains.
« Mais vous êtes sûr d’être arrivé à destination ? » me demande, inquiet, mon voisin dans le bus qui relie Londres à Paris, quand il voit que je descends à Calais. Je suis le seul à descendre dans ce qui est désormais connu comme la ville d’où les migrants essayent de rejoindre l’Angleterre. Nous sommes dans le Nord-Pas-de-Calais, non loin de la Belgique. 33 kilomètres nous séparent de Douvres et de ses blanches falaises. Quand le ciel est clair on peut même les apercevoir de la plage de Calais. En regardant la mer je pense aux scènes émouvantes du film Welcome.
Calais, terre des migrants
On est le 25 octobre 2014 et, d’après la Préfecture, quelque 2400 migrants sont présents sur le territoire. Il y a des hommes, des femmes et des enfants, ils sont Soudanais, Syriens, Erythréens, Ethiopiens, Afghans, Iraquiens… Ils ont vécu des histoires terribles et beaucoup parmi eux veulent commencer une autre vie en Angleterre. Ils vivent dans des conditions inhumaines dans des squats ou des jungles. Les squats sont des anciens bâtiments de types hangars aménagés en abri provisoire. Les jungles sont des camps où les abris sont constitués par des tentes. Quand on les visite on a l’impression d’être dans un camp de réfugiés.
La zone à plus haute densité de migrants se trouve auprès de l’usine chimique de la Tioxide. Ses terrains sont empoisonnés, les eaux polluées et l’air parfois irrespirable. Malgré ça, des centaines d’êtres humains continuent à se laver avec ces eaux de couleur blanchâtre. Les plus riches ou ceux qui viennent d’arriver passent la nuit dans un hôtel. Le coût d’une nuit pour une famille de trois personnes est d’environ 110 euros. Ahmed, 24 ans, syrien de Damas, ingénieur informatique, me raconte qu’une place dans une chambre à partager coute environ 15 euros.
Pendant le jour et la nuit ils essayent de se cacher sous les camions ou dans les conteneurs pour entrer dans les ferries pour l’Angleterre et arriver à destination. D’autres essayent de passer avec de faux papiers, mais ça coûte très cher et se révèle très dangereux. Ceux qui ont un peu plus d’argent payent un passeur, qui, si honnête, trouve un passage vers l’Angleterre dans un camion ou la voiture d’un complice. Le système est mafieux.
Des milliers d’euros pour une autre vie
S. est une irakienne chrétienne, ancienne professeure de mathématiques. Elle a fui les persécutions d’ISIS. « J’ai dû payer 48 000 euros pour un visa à destination de la Pologne. Je suis ensuite arrivée à Calais d’où je veux rejoindre l’Angleterre pour commencer une nouvelle vie », explique cette mère de de deux jumeaux et d’une fille de six ans. A Calais, elle a commencé par contacter un passeur qui l’a arnaquée en lui soutirant 8 000 euros pour rien. Inch’allah, son mari la rejoindra bientôt.
Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme: Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.
Les contrôles au port et dans les parkings réservés aux camions, menés par les forces de police, sont très stricts. Mais pourquoi risquer sa propre vie et dépenser l’argent épargné pendant toute une vie pour aller en Angleterre quand on pourrait déposer une demande d’asile dans n’importe quel pays européen ? Ces hommes et ces femmes ont hâte de tourner la page et de commencer une autre vie. Parfois en France, il faut attendre jusqu’à deux voire quatre ans avant d’obtenir des papiers. En Angleterre, quelques semaines peuvent suffire. Maria, éthiopienne, 28 ans, spécialiste de marketing, vit à Sheffield, où elle a obtenu ses papiers en trois semaines. Son fiancé, Elias, 28 ans, pharmacien, essaie de la rejoindre depuis trois mois.
Fuir la guerre
En outre, pour la plupart d’entre eux, l’anglais est la seule langue européenne qu’ils maîtrisent. Les plus jeunes veulent reprendre leurs études dans les prestigieuses universités anglaises. Les histoires qu’ils ont sur le cœur sont terribles : les Syriens fuient la guerre, les Afghans n’en peuvent plus de l’instabilité de leur pays, les Erythréens veulent échapper à une dictature qui impose le service militaire jusqu’à 55 ans pour les hommes et les femmes. Un jour, je suis interpellé par un groupe d’Afghans qui parlent parfaitement italien. Ils viennent de Modène et de Plaisance. Ils ont tous un permis de séjour italien mais ils ne trouvent pas de travail. Ils préfèrent mettre leur vie en danger plutôt que rester en Italie sans rien faire.
Article 14 de la Déclaration des droits de l’Homme: Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.
Ces migrants sont généralement très généreux. En se promenant dans le squat de la Tioxide on nous offre du thé et du café à chaque instant. Nous déjeunons au restaurant éthiopien, où nous mangeons un superbe « doro wat » de sauce tomate et poulet servi sur des délicieuses ‘njara. James, soudanais, 35 ans, me confie qu’il veut rejoindre « Dover » à la nage. Je lui dis que c’est impossible. J’essaie de le convaincre en lui disant que même dans le film Welcome le protagoniste n’arrive pas à atteindre l’Angleterre à la nage. Il me promet qu’il n’essaiera pas. Toutefois les jours d’après je le perds de vue et il ne répond plus au téléphone.
Une tension palpable
Un jour, nous visitons la jungle des dunes, une plage où beaucoup de migrants ont installé leurs tentes et des cuisines. Il ressemble à un grand camping en basse-saison. Nous ne rencontrons personne car la nuit précédente il y a eu des bagarres entre Soudanais et Ethiopiens. En sortant nous sommes entourés par cinq CRS. D’un côté, il y a cinq bénévoles du Secours Catholique et de l’autre, cinq policiers hyper-armés. Les CRS et la police sont omniprésents. Beaucoup d’entre eux sont violents avec les migrants, comme le dénoncent ponctuellement les opérateurs de Médecins du monde. Toutefois, de temps en temps, ce sont ces mêmes policiers qui défendent les migrants des agressions qu’ils subissent régulièrement de la part des Calaisiens.
A Calais, la tension est immédiatement palpable. Dans les rues et dans les restaurants, on entend très souvent des discours racistes et xénophobes d’habitants exaspérés, qui se considèrent les victimes d’une invasion. Un matin nous accompagnons Mariam, du Secours Catholique, pour offrir une boisson chaude, un sourire et quelques paroles de réconfort à des Syriens qui se sont installés dans la cour d’un logement près du port. A notre arrivée, une vieille dame qui habite dans ce logement ouvre la fenêtre et commence à nous faire des reproches. Elle se plaint en disant qu’ils sont sales, bruyants, etc. Depuis quelques semaines, ils ne peuvent plus prendre de douche parce qu’elles ont été incendiées et que la mairie ne les remet pas en état. Le jour d’après, quelqu’un a cassé les vitres d’une voiture du Secours Catholique. Presque chaque jour, les bénévoles et les migrants sont insultés ou maltraités. L’ambiance est hostile. Joël, bénévole engagé dans l’aide aux migrants à Calais depuis plus de vingt ans, est très préoccupé. Il affirme ne jamais avoir vu autant d’hostilité envers les migrants.
Les médias
Dans l’après-midi, vers 16 ou 17 heures, Salam ou encore l’Auberge des migrants, leur fournissent un repas chaud tous les jours. A partir de 15 heures, plus de 1000 personnes font la queue pour s’assurer d’un repas chaud. Ici et dans les squats, les journalistes sont partout. Ils prennent d’assaut ces misérables avec l’espoir de recueillir une histoire émouvante à publier. Généralement, les migrants ne veulent pas se montrer dans ces conditions et se couvrent donc le visage face aux nombreux appareils photos. Un jour, un groupe de journalistes américains leur dit que s’ils répondent à leurs questions, ils s’occuperont de leur envoyer le visa pour les Etats Unis.
La présence du Secours Catholique
Durant toute la journée, le Secours Catholique est en première ligne. Il offre de l’assistance légale, des locaux chauffés où passer la journée et jouer à des jeux de société, prendre des cours de français et participer à d’autres activités. Ils ont réussi à réaménager les locaux d’une ancienne boucherie et, maintenant, plus de cent migrants par jours y viennent pour se réchauffer, recharger leur portable et se reposer. Malgré le grand nombre de migrants et de demandeurs d’asile qui ont besoin d’assistance, il n’y a que trois salariés. Pour le reste, rien ne serait possible s’il n’y avait des dizaines de bénévoles qui consacrent tout leur temps libre à l’aide aux migrants.
La scène la plus émouvante est la distribution du repas de 16 à 17 heures. Un serpent humain de plus de 1000 personnes se forme, le visage abîmé par le froid et la fatigue. D’emblée, on pourrait penser à des scènes de camp de concentration. Mais il suffit d’un sourire et d’une poignée de main pour rendre l’humanité à une communauté qui risque de la perdre. Avec un sourire, nous avons abattu les barrières de la langue. Nous nous sommes embrassés et avons fraternisé.
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