Le pape, l’argent et moi : sa grande gueule et mes petits bras #1
Tous les mois, retrouvez un sujet de société ou d’actualité, traité sous l’angle de la Doctrine sociale de l’Eglise, sous l’oeil bienveillant et plein de finesse de Martin de Lalaubie, journaliste au Ceras et réalisateur de Jeunes et engagés.
« L’argent doit servir et non pas gouverner. » Personne n’échappe aux paroles chocs du pape François. Je les adore ! Mais comment les traduire en actes ? S’il le dit, c’est que c’est possible. On réfléchit puis on retrousse nos manches !
« L’argent doit servir et non pas gouverner. », François, le 16 mai 2013
Cette phrase prononcée en 2013 m’avait échappé. Normal, en 2013, j’étais au chômage. De l’argent, je n’en avais pas vraiment. Mais maintenant que j’ai fait fortune avec mon contrat pro, je me demande bien comment mon argent peut servir ?
Tout d’abord, qui a mon argent ? Mon banquier ! Un compte courant plus un petit livret d’épargne, ce n’est pas grand chose mais tout de même, ça compte. Est-ce que je sais vraiment ce que mon banquier fait avec ma fortune ?
Je suis allé demander aux Amis de la terre. Ils m’ont répondu : « Les banques utilisent leurs ressources financières, essentiellement constituées des dépôts de leurs clients (donc les miens) et de leurs actionnaires, pour financer l’économie locale, les multinationales, les Etats et les autres banques ainsi que pour spéculer sur les marchés dérivés. Et ils ajoutent, les banques installées en France gèrent un actif total de 8 500 milliards d’euro, soit 4 fois le Produit intérieur brut (PIB) de la France. » Ça en fait de l’argent à investir ! Mais comment s’assurer que ma banque investit mon argent au bon endroit ?
Les Amis de la terre sont allés plus loin et ont classé les banques françaises en fonction des risques climatiques et sociaux que leurs placements engendraient. Je ne vais pas les dénoncer ici, mais si vous souhaitez savoir si votre banque est « climaticide », il suffit de jeter un oeil à leur rapport ou de revoir ses propres critères de choix. Le pape demande à ce que mon argent serve, alors je change de banque pour sauver le climat !
Je consomme donc je sers
Mon argent ne reste pas qu’à la banque, je le dépense aussi bien sûr. Comment m’assurer qu’il continue à servir lorsque je consomme ? Dès 1981, le pape Jean-Paul II parlait des « employeurs indirects », c’est-à-dire « les nombreux facteurs différenciés qui, outre l’employeur direct, exercent une influence déterminée sur la manière dont se forment le contrat de travail et, par voie de conséquence, les rapports plus ou moins justes dans le domaine du travail humain. » (voir ici) Ça veut donc dire qu’en tant que consommateur, je suis « l’employeur indirect » de celui qui fabrique mon tee-shirt.
Je n’aime pas trop dépenser de l’argent pour mes tee-shirts. Mais « l’économie » réalisée a un coût. Ce faisant, je contribue à soutenir des employeurs qui exploitent les travailleurs dans des conditions parfois déplorables. En témoignent les 1 127 morts du Rana Plaza, l’usine qui s’est effondrée en avril 2013 au Bangladesh et où étaient confectionnés des vêtements pour de nombreuses marques européennes. Chaque tee-shirt a un coût fixe. S’il ne se répercute pas entièrement sur le prix que je paie, il se traduira par un coût environnemental, social et humain. Une situation que François résume en une phrase : « La personne humaine est aujourd’hui sacrifiée aux idoles du profit et de la consommation. »
S’investir dans le désinvestissement
Enfin, avec mon Smic et mes quelques économies je suis tout petit dans le système financier. Que font les « gros » ? Qui montre l’exemple ? Le CCFD-Terre solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement) entre autres. La première association française de développement a exclu depuis le 4 septembre dernier les industries fossiles de son fonds commun de placement. « Le rôle des investisseurs solidaires et socialement responsables est de contribuer à l’émergence de nouveaux modes de développement, de production et de consommation respectueux des personnes et de l’environnement » (voir ici), affirme l’association.
Pourquoi désinvestir des industries du gaz, du pétrole et du charbon ? Le calcul est simple. D’après une étude publiée en janvier dans la revue Nature (et reprise par le site Reporterre), pour de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, il faudrait renoncer à extraire la moitié des ressources fossiles de notre sol. En désinvestissant ses placements des industries fossiles, le CCFD-Terre solidaire participe à leur affaiblissement et les pousse à investir dans d’autres secteurs, les énergies renouvelables par exemple.
Mon denier est-il fossile ?
Le CCFD-Terre solidaire n’est pas le seul à agir ainsi. Des chrétiens ont appelé au désinvestissement massif dans les pages du quotidien La Croix. Ils ne font que suivre les dernières recommandations du pape dans son encyclique Laudato si’ : « Nous savons que la technologie reposant sur les combustibles fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée, progressivement et sans retard. » (§ 165). « Progressivement et sans retard » relevant de la subtilité jésuite !
Et moi dans tout ça ? Je n’ai pas (encore) de placement financier ! Je peux toujours signer l’appel pour laisser les fossiles dans le sol (voir ici). Et je peux aussi interpeler mon Eglise, ma paroisse, mon diocèse : où placent-ils leur argent ?
Martin de Lalaubie
Journaliste au Ceras
Réalisateur de Jeunes et engagés
Voir ici :
Migrants : l’Eglise est-elle utopiste ?
“Jeunes et engagés”, un webdocumentaire inédit
Commentaires
A toi la parole.
Bonjour,
Ton article est bien ecrit, j’apprécie ton cheminement, comment tu apportes les choses, sans accuser.
Pour ma part je suis déjà conscient de ces problèmes, et ait déjà agit, en partie.
En partie seulement car je me pose la même question avec les assurances. Elles aussi ont des fonds de placement, mais ou ? Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ?
Aurais tu une piste ? Qui mérite le plus mon argent ? Ou le moins pire ….
Merci André pour tes retours et surtout bravo avoir déjà agit ! Malheureusement, il n’existe rien pour l’instant sur les fonds de placement des assurances. Mais peut-être que ça viendra un jour… Restons vigilants ! En attendant, rien ne nous empêche de poser directement la question a notre assureur.