Rina Rajaonary, présidente de la JOC : prendre sa place dans la société
Tous les mois, retrouvez le portrait d’un(e) jeune catholique engagé(e). Ils nous partagent leurs combats, leurs espérances, leurs doutes, ce qui les fait avancer et comment la foi fait bouger leur quotidien.
A 26 ans, Rina Rajaonary a commencé son mandat de présidente de la JOC en août avec le désir de porter la parole des jeunes que la société ne veut pas regarder et écouter. Elle nous parle du chômage, de l’accès au travail des jeunes, des élections régionales et du vivre-ensemble…
Arrivée en France il y a 10 ans près du Mans, Rina a été trésorière fédérale, puis permanentes des régions Picardie et Champagne-Ardenne (qui comprennent 7 fédérations) depuis deux ans et élue présidente le 10 mai 2015 par 120 responsables locaux réunis en assemblée générale à Courbevoie. Elle est aussi engagée à ATD-Quart Monde depuis septembre 2014.
La JOC c’est 10 000 jeunes de 15 à 30 ans, gérée et animée par les jeunes eux-mêmes.
Quelles sont pour toi les priorités de ton mandat de présidente de la JOC ? Quelle coloration souhaites-tu y apporter ?
En tant que présidente, ce que je veux avant tout, c’est porter la parole de la jeunesse du milieu ouvrier, leurs espérances, leurs galères. C’est à cela que j’ai d’abord été appelée. Dans nos réunions JOC, on cite souvent nos copains, nos voisins dans une dynamique de solidarité. Ce sont ces situations de vie, cette diversité de visages de jeunes du mouvement ouvrier que je souhaite représenter.
En tant que présidente, je suis aussi appelée à porter les orientations du mouvement. Renouvelées tous les 5 ans, les dernières orientations ont été votées en avril dernier, avec pour priorités l’accompagnement des privés d’emploi d’une part et d’autre part, se mettre au service des projets de vie des jeunes.
Comment ces orientations vont se traduire concrètement ?
Sur la première orientation « faire de la JOC le porte-voix des privés d’emploi », nous développons des parcours dans les permanences emplois qui permettent aux jeunes de partager leur réalité, de se motiver ensemble pour les recherches de travail, mais aussi de développer des activités, pour créer un esprit de groupe, avec des débats, des ateliers… Les jeunes privés d’emploi que nous rejoignons sont souvent très isolés. L’enjeu est de leur montrer qu’ils ont la capacité d’agir sur leurs conditions de vie. Nous prévoyons un rassemblement en avril 2017 pour réunir les jeunes des moins de 30 ans privés d’emploi, afin de sensibiliser la société à leurs conditions de vie.
Pour la deuxième orientation « La JOC, mouvement d’éducation populaire au service de la construction des projets de vie des jeunes », il s’agit d’accompagner le jeune dans chaque aspect de sa vie (au travail, dans son parcours scolaire, ses engagements, etc.) pour qu’il s’interroge sur le sens qu’il y met, qu’il mette des mots sur ses choix, toujours dans l’idée de cheminer avec d’autres et de se construire en tant qu’adulte : où peut-il bouger avec d’autres pour que ça change ? Nous souhaitons aussi creuser la question de la foi et de la vie consacrée en interpelant les séminaires. C’est une formation très intellectuelle, pas toujours accessible aux jeunes de milieu ouvrier qui peuvent se sentir appelés.
Qu’est-ce qui t’a donné le goût d’accepter cette mission ? Comment cela te rejoint personnellement, dans ton histoire ?
J’ai connu la JOC en arrivant en France il y a 10 ans, en juin 2005. On m’a immédiatement proposé de créer une équipe dans ma ville. Cette confiance qu’on m’a faite dès mon arrivée m’a permis de m’adapter rapidement à la vie en France. Responsabiliser ainsi les jeunes est une manière de les intéresser à ce qui les entoure : la vie de quartier, les amis, la famille. C’est ce que je souhaite faire vivre aujourd’hui. Non seulement pour l’action dans la société, mais aussi pour se construire en tant que jeune. Arrivée à 16 ans, l’engagement en JOC a été un pilier pour me construire. C’est aussi mon engagement à la JOC qui m’a donné envie de rejoindre ATD Quart Monde et le Conseil des étrangers. Grâce aux révisions de vie, aux copains qui interpellent sur la place qu’on veut prendre en société…, cela permet de poser des choix de vie. Développer un regard sur la société, un esprit critique, lucide, ne pas ignorer ou fuir ce qui pose question, mais donner l’envie de s’engager et d’être acteur dans la société, c’est ce qui m’a donné le goût d’accepter la mission.
Alors que le chômage des jeunes est actuellement autour de 25% en France, il y a pourtant des milliers de postes non pourvus (on parle de 150 000 à 300 000). Comment expliques-tu cela ? On dit parfois que les jeunes sont devenus trop exigeants, trop sélectifs. Quel est ton regard sur l’accès des jeunes au travail ?
C’est l’image qu’on veut montrer des jeunes mais ceux que nous rencontrons sont avides de montrer leurs capacités, leurs talents et de participer à la vie de la société.
Dans nos enquêtes, les jeunes qui s’en sortent le mieux, ce sont ceux qui sont soutenus par un réseau, par leur famille. Or, ceux que nous rejoignons sont livrés à eux-mêmes, sans aide, sans appui, sans famille qui puisse les aider. Ils font des efforts, mais sont très isolés.
On fait face à des jeunes qui acceptent des contrats très précaires : CDD sur CDD ou contrats d’intérim, car on leur fait croire qu’ils ne sont pas maîtres du choix de leur travail et qu’ils doivent d’abord s’estimer heureux s’ils en ont un.
Ce qui nous indigne aujourd’hui c’est le sentiment de culpabilité et de honte qu’ont les jeunes quand ils n’ont pas de travail. Nous sommes dans une société fragilisée où sans travail, ils ont l’impression de ne plus avoir de statut social, qu’ils n’existent plus.
Il nous semble primordial d’interpeler les politiques et l’Eglise sur le sens du travail, comme un moyen de s’accomplir en tant qu’être humain, de se construire dans sa dignité.
En décembre ont lieu les élections régionales. Vous venez de publier une parole nationale sur la question de l’extrême droite. On dénonce souvent chez les politiques l’absence de vision pour la société. Quelle est la vision de société que vous proposez aujourd’hui à la JOC ? Et comment cela se traduit concrètement ?
Les jeunes que nous rejoignons peuvent être les mêmes que le Front National séduit parfois : ceux qui vivent dans la précarité, l’isolement, qui ne trouvent pas leur place dans la société, leur quartier, etc. On a vu des jeunes de la JOC aller au FN car ceux-là savent parler aux jeunes sur des sujets très simples, leur donner rapidement des responsabilités. Les jeunes se sentent alors reconnus et ont l’impression de trouver cette place qu’ils n’ont pas eue ailleurs. C’est pourquoi il était important pour nous de réaffirmer que pour la JOC, ce n’est pas avec la peur de l’autre et l’enfermement qu’on résoudra les crises actuelles mais au contraire, c’est par la rencontre, la mise en commun qu’on peut avancer. (Voir “En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite”)
Ce qu’on veut vraiment à la JOC, c’est dire que dans la société où l’on est, on a une place à prendre en tant que jeune et en tant que citoyen, avec d’autres. Cela passe, non pas par la recherche du profit individuel, mais par la rencontre, par des initiatives qu’on construit ensemble dans notre diversité. Pour cela, il faut qu’on ait prise sur ce qui se passe autour de nous, en s’intéressant à la vie de la cité, du pays.
Comment concrètement la JOC ouvre à l’action dans la société ?
Toutes nos enquêtes partent toujours de la vie réelle des jeunes et eux-mêmes vont à la rencontre des habitants de leur quartier etc pour les réaliser. Grâce à ses enquêtes, la JOC a été actrice de la création des CIO (Centre d’information et d’orientation) et avait aussi émis, en amont de la création des ANPE, la proposition de lieux pour se réunir pour trouver du travail ensemble et où des entreprises venaient proposer leurs offres d’emploi…
Il y a deux ans, notre enquête “DroitS Devant” sur les droits des jeunes dans nos lieux de vie a révélé que les jeunes ne connaissaient pas du tout leurs droits mais que trois jeunes sur cinq étaient prêts à s’engager pour mieux les défendre. On s’est rapproché du Ministère de l’éducation et avons créé des modules de formation sur le droit au travail (comment comprendre nos fiches de paies, les congés, la santé, la représentativité dans l’entreprise, à qui on s’adresse quand on a un souci, etc.), qui pourraient être expérimentés dans les établissements dès la 3ème, à un âge où on commence à avoir des jobs d’été. L’outil a été créé, il vient d’être fini, il a été prévu qu’il y ait des expérimentations dans collèges et lycées.
De manière plus générale, l’organisation du mouvement donne sens à la prise de responsabilité : comme elle se fait sur appel, ce n’est pas moi qui me propose pour être à la tête de quelque chose, mais on me fait confiance. Cela resitue le sens du service.
Vous lancez cette année une enquête sur la question du vivre-ensemble dans les quartiers. Quel regard portes-tu personnellement sur la question du vivre-ensemble, de l’interreligieux et de l’interculturalisme, notamment en tant que malgache ?
La phase d’enquête sur la dynamique du vivre-ensemble commence en effet en ce moment. Les jeunes sont partis à la rencontre des personnes de leurs quartiers pour leur donner la parole sur le vivre-ensemble : qu’est-ce qui existe déjà sur lequel on peut s’appuyer, ce qui manque, ce qu’il faut développer… L’idée est de créer ensemble plusieurs propositions à remettre auprès des élus courant mars-avril.
Je pense que les attentats de janvier ont vraiment secoué la société. Il y a une vraie envie de construire une société ensemble. Je crois énormément à cela.
Personnellement, comme beaucoup, je me dis que j’ai eu la chance d’être accueillie et qu’on m’ait laissée prendre part à la vie de cette société. J’avoue que cela fait bizarre de ne pas pouvoir aller au bout de cette participation à la vie de la cité en votant. Peut-être cette question du vote des étrangers va pouvoir évoluer.
En JOC on ne tient pas compte de la croyance pour accueillir dans le mouvement. Ce qui nous unit d’abord, c’est de vivre des situations similaires. Il faut la force de tous. Permettre à chacun de trouver sa place. Et cela passe par l’accueil de l’autre, de sa vie, afin d’avancer ensemble. La dynamique sur le vivre ensemble va permettre de dire que le voisin a une richesse et moi aussi et qu’on peut avancer ensemble.
La qualité que tu préfères chez les autres : l’altruisme
Ce que tu détestes par-dessus tout : l’indifférence
Tes héros dans la vie réelle : ma maman, qui est une battante. C’est sa niaque qui m’a donné envie de m’engager aujourd’hui. Je suis aussi très touchée par les paroles du pape François, ses prises de position, son regard sur le travail, sur la dignité.
Ton verset de Bible préféré : « Quand 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Matthieu 18, 20). J’ai l’occasion de l’expérimenter à chaque fois qu’on est réuni en JOC. Il y a une magie qui opère quand on a des décisions à prendre ensemble !
Et aussi : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux » (Matthieu 7, 12), car cela resitue bien le sens du service.
Une rencontre qui t’a touchée : Je pense à Isa, une jeune chrétienne d’Irak arrivée sur Reims en 2005 qui a rejoint la JOC. J’ai été très touchée par sa force à porter une attention à chaque personne qu’elle rencontre malgré ce qu’elle a vécu et sa vie en France pas toujours facile, entre la langue, la recherche d’un travail …
Ton livre phare : j’aime beaucoup l’histoire du Petit prince. Et Un long chemin de liberté, de Nelson Mandela, que je suis en train de lire en ce moment. Je suis touchée par son histoire, sa simplicité.
Un film qui t’a marqué : Mayrig, qui signifie « maman » en arménien. C’est un film qui raconte l’arrivée d’une famille arménienne en France, comment ils se construisent … Je l’avais regardé avec des jeunes arméniens, nous avions eu un temps d’échanges après. J’ai été marquée par leur espérance, leur soif d’un avenir meilleur en abandonnant tout ce qu’ils avaient…
Ton meilleur souvenir : il y en a beaucoup ! Je me rappelle quand je suis arrivée en France, j’ai participé à ma première manif, contre le contrat de première embauche. J’ai été marquée par ces jeunes qui avaient l’audace de crier leur indignation, venant d’un pays où ce n’est pas évident de dire son avis, et encore moins d’aller dans la rue pour dire qu’on n’est pas d’accord. Ça m’a vraiment chamboulée, c’était génial.
Dieu pour toi, c’est : c’est un compagnon de route, un copain, un ami
Que lui diras-tu quand tu le verras de face : pfiouuu ! J’ai pour habitude de dire que Dieu il est en chacun, je le vois tous les jours dans le visage des personnes que je rencontre, dans leurs galères, leurs joies… Je lui dirai MERCI pour tout cela, pour cette vie palpitante !
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Commentaires
A toi la parole.
Bravo à la JOC pour cet engagement et le dynamisme de sa Présidente !
Bravo et félicitations ! Une pette question, de quelle famille Rajaonary viens tu ? Moi d’Antsirabe et Ambatolanpi.