Volontariat en Inde : missions et pauvretés
Benjamin et Bertille sont partis pendant un an en volontariat en Inde. Dans ce billet, ils évoquent les différentes formes de pauvretés auxquelles ils ont été confrontés.
La mission, un « amplificateur » de vie
A l’heure du bilan de notre expérience en Inde, un constat : notre mission, ce fut un peu la foire du trône. Montagnes russes, chaises volantes et auto-tamponneuses… La vie, quoi ! Avec ses moments de d’euphorie et de désespoir, ses phases d’équilibre serein et ses coups durs. Oui sauf que la mission, en plus d’être une école de vie, est un « amplificateur » de vie. Tout prend une dimension différente, car on est loin, déraciné et dépourvu de nombreux repères, bref on est pauvres et démunis. On est pauvres de nos familles, de nos amis, de notre confort et curieusement de nos appuis spirituels. Finalement c’est un peu ce qu’on est venu chercher ici, un certain détachement. Nous commençons à découvrir quelques unes des richesses de cette pauvreté et nous vous en partageons quelques unes.
Pauvreté matérielle
La première pauvreté à laquelle nous sommes confrontées est bien sûr la pauvreté matérielle : le manque de confort et d’intimité. Un vrai challenge pour un jeune couple de vivre dans 7m² dans un foyer de 50 ados en partageant l’étage des nombreux volontaires, donateurs et autres voyageurs de passage. Au départ on était euphorique : quelle chance de pouvoir vivre tant de rencontres, d’échanges, de partages ! Puis on s’est rapidement épuisé et lassé de cette hyper activité communautaire, sans avoir un pouce d’intimité conjugale. On se raccroche alors au peu de choses matérielles que l’on a : sa chambre et son ordinateur. Autrement dit, on rentre, tel le bernard-l’ermite, dans sa coquille.
Il n’y a rien de plus naturel que de ressentir dans la difficulté le besoin de se retrouver un peu seul, de se protéger en s’isolant. Sauf qu’ici, une telle attitude se paie cash. Les indiens, habitués à la vie en communauté, ne comprennent pas ce besoin de protection de l’espace intime et les relations avec eux deviennent alors moins faciles. Notre réflexe dans ces moments difficiles, c’est le protectionnisme : fermeture des vannes humilité, disponibilité, sourire, enthousiasme, joie et service…jusqu’à la crise de tchoumtchoumite. La tchoumtchoumite, c’est le fameux cercle vicieux de la critique que vivent la plupart des volontaires : « Moments difficiles – Bernard-l’ermite dans sa coquille de certitudes – Critiques de tout ce qui bouge – Asséchement – Doutes – Malveillance – Moments difficiles… »
Quand tu rentres à deux dans cette spirale de coupure de la relation, tu n’es pas bien…Pour sortir de ces mauvaises passes, on essaie de se rappeler qui nous a envoyé dans cette galère et de discerner pourquoi Il l’a fait. Avec un peu de temps et beaucoup de prières Il finit par nous remontrer le chemin que l’on a choisi d’emprunter. Il nous a surtout fait comprendre les ravages potentiels de « la critique stérile d’autodéfense » sur notre réserve d’humilité, de bienveillance et d’amour à donner. Cette pauvreté matérielle et d’intimité nous poussent dans nos retranchements parfois et ne nous donne pas beaucoup d’autres choix que d’essayer de trouver des solutions du côté de la relation et de l’ouverture à l’autre.
Pauvreté professionnelle
La seconde pauvreté est une certaine pauvreté professionnelle. A Paris nous nous confrontions aux difficultés des débuts de la vie professionnelle, mais nous pouvions nous reposer sur nos belles études, nos têtes (relativement) bien faites, des environnements porteurs et stimulants, le tout dans une culture que nous connaissions bien. Nous avons la chance d’avoir hérité de missions qui correspondent à nos compétences respectives (Bertille orthophoniste et Benjamin la direction de structure). Cela ne nous empêche pourtant pas de nous trouver très souvent démunis et apparemment sans solution. Ce qui est d’autant plus frustrant. Combien de fois on est revenu de notre journée démoralisé par le rythme indien, leurs méthodes de travail et surtout le manque de résultats visibles ?
La mission nous apprend à mettre de côté notre culture bien ancrée du résultat immédiat pour laisser place au temps, à la relation et l’initiation patiente de processus de dynamique positive. Bertille s’accroche au quotidien pour tenter de créer un département d’orthophonie dans un des centres. Elle se confronte à sa pauvreté professionnelle tous les jours. Elle se fruste parfois, mais le plus souvent elle s’accroche pour faire le deuil du résultat immédiat, s’arrache les cheveux pour trouver les clés pour faire avancer le projet et s’appuie sur sa profonde espérance chrétienne pour tenir le cap sur la durée. Se confronter à sa pauvreté professionnelle est une immense chance. Cela permet de se découvrir des capacités d’adaptation et de créativité insoupçonnées. Nous apprenons aussi la constance dans la difficulté au travail : s’accrocher coûte que coûte car on sait pourquoi on est là et où l’on va. Encore une fois, la foi nous aide à unifier notre vie professionnelle en mission. Elle donne un sens à nos difficultés, donne une force innovatrice dans la gestion des relations et procure une énergie débordante au quotidien. Ces richesses naissent de notre grande pauvreté face à ce monde inconnu des pauvres en Inde.
Pauvreté sociale et amicale
La troisième pauvreté de la mission est la pauvreté sociale et amicale. Ici fini le coup de fil à un ami, le week-end ressourcements chez papa/maman ou les vacances entre potes. Nous devons vivre notre expérience avec tout ce qu’elle comporte en couple avec les gens qu’il nous est donnés de côtoyer. C’est difficile parfois de n’avoir personne avec qui pouvoir facilement décharger son sac ou simplement demander conseil. Personne, sauf sa femme ou son mari. Là où Bertille appelait sa meilleure amie et où Benjamin retournait dans sa famille, désormais on a trois options :
1/ Se tourner vers l’autre
2/ Trouver les ressources en soi pour passer l’obstacle
3/Se tourner vers le voisin qui peut être un jeune handicapé indien.
Cette pauvreté sociale est une vraie force pour sortir de soi et de ses réflexes confortables. Cette force pousse à une ouverture à l’autre tel qu’il est et permet de nouer des relations qui n’auraient jamais existées sans cette pauvreté initiale. Parfois on n’a pas d’autre choix que de trouver du réconfort auprès de celui que l’on ne supporte pas au boulot. Ce dénuement ouvre une brèche pour la rencontre gratuite. Cette pauvreté est aussi un excellent booster pour la communication de couple. Elle fait tomber les masques, les inhibitions, les protections pour nous aider à être toujours plus en vérité avec l’autre. Mais elle nous apprend aussi à préserver l’autre et à ne pas faire de l’autre sa béquille. A trop se reposer l’un sur l’autre, on finit toujours par le faire plier. On n’est pas assez costaud tout seul. C’est donc en partie cette pauvreté sociale qui nous fait réaliser à quel point la présence de Jésus dans notre vie est vitale pour poursuivre notre marche en avant.
Pauvreté spirituelle
J’en arrive donc à la dernière pauvreté à laquelle nous avons fait face, ici, à Calcutta. Cela peut paraître paradoxal, mais nous nous confrontons à une certaine pauvreté spirituelle. Finie la messe hebdomadaire avec l’homélie punchy qui vous lance pour la semaine, terminés le groupe de réflexion et de prière pour partager, orienter et nourrir, oubliés les retraites, échanges ou actions avec nos amis… On est le plus souvent seuls avec notre Bible et notre carnet de chants dans notre petite chapelle improvisée à essayer de prier seul ou à deux. Parfois il ne se passe pas grand-chose, mais souvent la parole s’anime brusquement pour nous réchauffer, nous porter et nous éclairer. On comprend alors ce que signifient les expressions comme “Parole vivante” ou “Verbe de Dieu”. Elle devient un vrai soutien et un appui dans les moments difficiles pour nous accrocher et donner du sens à nos actions au quotidien auprès de ceux que l’on est venu servir. Découvrir cette richesse est une vraie source de joie et d’enthousiasme, d’autant plus quand on la partage en couple. Cette pauvreté de « l’offre catholique » en Inde (l’offre spirituelle ne manque pas) met donc à jour à la fois la richesse que représente la parole de Dieu au quotidien mais aussi l’importance de pouvoir la partager et la vivre avec d’autres, chrétiens ou non. Vivre sa foi, seuls, sans l’ouvrir à la réalité, sans la partager ou la confronter avec celles des autres se révèle rapidement stérile voire déstabilisant.
Cette mission est difficile. On se confronte à nos pauvretés sous plusieurs formes. On n’y est pas habitués. Il faut accepter de se lancer dans le long et douloureux apprentissage pour apprendre à reconnaître ses pauvretés, les accepter et enfin les aimer…Alors nous sommes persuadés que l’acceptation de ces pauvretés ouvre de belles et profondes perspectives de développement personnel, conjugal et sociétal.
B & B Calimez
Commentaires
A toi la parole.
Merci les amis, une bel article sur votre vie indienne. Il faut savoir gérer ses émotions ainsi la foi en Jésus aide plus que l’on ne le pense. Je me retrouve dans votre témoignage. J’imagine qu’il y a plein d’autres histoire à raconter alors j’espère pouvoir partager avec vous. Depuis Chennai, à très vite. Aude
Bonjour Aude !
Ce serait une bonne idée de partager ton témoignage avec nous !
A bientôt avec plaisir