Choisir à plusieurs en communauté
Claire, 32 ans, est religieuse Xavière depuis 5 ans, et vit en communauté à Montréal. Pour Jeunes Cathos Blog, elle écrit le « Journal d’une jeune religieuse ».
« Ma pauvre, avec la spiritualité ignatienne, tu vas en déguster du discernement ! » Encore une personne qui n’a pas expérimenté par elle-même ce que discerner produit. Surtout de discerner à plusieurs. A chaque fois, je ressens un tel émerveillement et une telle joie devant le cheminement et le résultat, que je veux bien déguster cela toute ma vie !
Deux exemples pour le faire goûter.
Fin du noviciat, il y a trois ans. Nous sommes 3 à prononcer nos vœux temporaires en même temps. Il nous faut créer un faire-part, selon la tradition, pour les communautés, nos familles et amis. Lors de la première réunion sur le sujet, nous arrivons chacune avec une phrase d’Évangile différente, une phrase de la fondatrice de notre institut différente, une idée de graphisme différente… Je ressors catastrophée, chacune tenant fortement à ce qu’elle a proposé : ce sont des goûts forgés par notre passé avant la vie religieuse (« surtout pas du jaune », « la police Comics, ça ne fait pas sérieux »…), mais aussi des goûts spirituels enracinés au plus profond de nous-mêmes pendant les retraites et la vie de prière jour après jour. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux renoncer à faire un faire-part unique ? Mais lors de la deuxième rencontre, c’est le miracle : le format est une évidence, nous sommes d’accord sur la phrase d’Évangile, et nous n’hésitons plus qu’entre deux phrases de la fondatrice. Que s’est-il passé entre les deux ? Nous n’avons pas reparlé du sujet entre nous de manière informelle, deux par deux, pour gagner l’une puis l’autre à ses propres idées. Mais nous avons prié chacune avec ce que nous avions entendu la première fois. Et imperceptiblement, l’Esprit a agi. Nous étions tellement différentes, et il s’agissait d’un moment important pour toutes : ceux qui ont préparé ou préparent leur mariage savent de quoi je parle. Et nous avons été tellement heureuses du résultat, qui n’était pas un compromis, mais notre faire-part.
Choisir ensemble autant que possible
Cette expérience a été tellement marquante, qu’elle me donne confiance pour les discernements communautaires de tous ordres que nous vivons régulièrement dans notre vie en communauté, et qui passent toujours par des phases inévitables de tiraillement, d’inconfort. Parce que figurez-vous que ce n’est pas la supérieure qui décide toute seule et qui impose ses vues, les autres sœurs n’ayant qu’à obéir puisque nous avons fait vœu d’obéissance! L’obéissance est écoute commune de l’Esprit, elle se vit dans le dialogue. Pour autant, ce n’est pas la démocratie, la loi de la majorité : c’est bien la supérieure qui décide, qui a le dernier mot, et j’obéis parce qu’elle « tient pour moi la place du Christ, notre Seigneur » et en « ayant devant les yeux Dieu pour qui j’obéis », comme le disait Ignace de Loyola. Mais elle n’a pu prendre la décision et je ne peux vraiment obéir que parce que j’ai dit l’avant-dernier mot : je lui ai fait part de ce que je sens dans ma prière de la volonté du Seigneur. Et au niveau de la communauté, parce que chacune a dit son avant-dernier mot. Sur certains sujets, nous décidons parfois de nous écouter pour choisir ensemble autant que possible. Nous prenons exemple sur ce qu’ont fait les premiers Compagnons jésuites pour savoir s’ils se lieraient par un vœu d’obéissance à l’un d’entre eux ou non : la délibération des premiers Compagnons de 1539 à Rome. Vous pouvez en lire le récit complet à cette adresse, presque 6 siècles après, cela reste bon pour aujourd’hui : délibération des premiers Pères 1539
Le résultat d’une grande écoute
Récemment, nous avons mené en communauté deux discernements. Le premier en février pour choisir de louer ou non une maison que nous avions visitée, la décision de déménager étant prise et la plupart des critères que nous avions étant remplis. La deuxième en mars-avril pour choisir dans quelle pièce installer la chapelle, et partant, les chambres et la salle de communauté. Nous sommes quatre en communauté, d’âges différents, d’histoires différentes, de sensibilités différentes. Nous avons mené le premier discernement sur deux jours, le second sur 5 semaines avec trois tours d’écoute. Avec un sentiment extraordinaire de joie quand la décision a été prise pour la chapelle. Pourtant, ce n’est pas la pièce que j’aurais choisie au départ. Mais parce que je sentais à la fois combien cette décision était le résultat d’une grande écoute, d’un profond respect entre nous, et d’un don de l’Esprit, qui surgit quand on n’a l’impression qu’il n’y a que deux possibilités, et qu’il vient nous en montrer une troisième.
Au final, nous avons loué cette maison et emménagé fin avril, la chapelle a trouvé sa place côté jardin, avec vue sur les cerisiers en fleurs actuellement. Loué soit Dieu qui donne tout !
Claire
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Le journal d’une jeune religieuse
Commentaires
A toi la parole.
Bonjour Claire,
Vous parliez de trois tours d’écoute. En quoi cela consiste ?
Qu’est ce qui fait que pour une décision, 2 jours ou 5 semaines soient nécessaires?
Puis je vous demander, aussi, comment réfléchissez-vous sur ces questions, chacune de votre côté?
Je suis curieux…
Encore merci pour vos beaux témoignages.
Bonjour Antoine,
un “tour d’écoute”, cela signifie que l’on écoute chaque personne tour à tour, sans interrompre, sans réagir. On écoute vraiment, on laisse descendre ce qui a été dit. Et chaque personne exprime ce qu’elle a préparé, elle ne répond pas à ce qui a été dit par une personne avant elle dans le tour. Cela permet d’aller au bout de ce que l’on porte, sans être agressé au milieu de ce que l’on a à dire (toute ressemblance avec des faits vécus en entreprise ou ailleurs est fortuite ;-))
Comment prépare-t-on, chacune de son côté ? A partir de la question, qui est formulée de la même manière pour toutes, je réfléchis d’abord comme ça, dans la vie, en sentant ce que ça suscite en moi : peurs, élans, tristesses, espoirs… Parfois si ça m’encombre, je prends le temps de noter ces sentiments, mais ce n’est pas ça que je partagerai. Et puis je prends un temps de prière formel, à la chapelle en général. Et à la fin de ce temps, je réfléchis et j’écris sur un papier ce qui me vient. Et c’est cela que je partage.
Quant à savoir déterminer si 2 jours ou 5 semaines seront nécessaires… Je ne sais pas, c’est le mystère du mûrissement… dans certains cas, on est tenu par une contingence extérieure (une date butoir qui ne dépend pas de nous, par exemple une réponse à donner pour louer ou non la maison !) Dans d’autres cas, c’est à travers l’écoute mutuelle que l’on sent si le temps de la décision est venu ou s’il faut poursuivre le discernement pour laisser surgir du nouveau !
J’espère que cela répond à vos questions. Merci pour votre intérêt manifesté !
c’est encore moi. Vous expliquez tout haut ce que je fais sans rien dire à personne.
ça c’est encore une révélation. Je me doutais bien que la pratique Saint Ignace était ainsi.
Je comprends. Je comprends.
bonne soirée
Bonjour Clémentine, et merci (bien que tardivement !) pour votre partage : cela prouve une nouvelle fois que l’Esprit Saint a de la suite dans les idées, et que du XVIème au XXIème, il nous souffle d’agir à sa manière. C’est bien autre chose qu’une recette ! Si cette révélation dont vous parlez vous donne envie de davantage découvrir St Ignace de Loyola, vous pouvez lire son autobiographie : le Récit du pélerin. C’est plein de vie. Peut-être Ignace deviendra-t-il notre ami du ciel en commun ?! Bonne suite !
bsr claire
je me rejouie de vous lire et de ce que vous partager avec nous. merci infiniment pour cela et permettez moi de vous exposer mon probleme. je suis actuellement perdue quant au chemin que je dois prendre dans ma vie, car je me sens plus a l’aise dans la vie religieuse. j’ai vraiment besoin de conseils car je suis dans cette phase de discernement… aidez moi et j’attendrai patiemment votre reponse. merci pour votre aimavle comprehension.
Bonjour Patricia, merci pour votre confiance à travers votre commentaire. Je vous propose de poursuivre la discussion si vous le souhaitez par courriel personnel. En union de prière, sûre que le Seigneur nous guide et qu’il ne nous laisse pas tomber.