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Chrétiens irakiens réfugiés au Kurdistan : la tragédie de l’Histoire et la grâce du quotidien

Publié par jeunescathos le 17 juillet 2014 - A la Une, Chrétiens d'Orient, Interreligieux, Vie de l'Eglise

Victimes de combats entre Kurdes et djihadistes fin juin, les familles chrétiennes de Qaraqosh dans le nord de l’Irak ont fui la ville pour se réfugier en territoire kurde, à Erbil, Kirkouk et aussi à Souleymanié, dans le monastère de la communauté Al-Khalil, où vit Fr. Sébastien (voir ses témoignages précédents).

carte qaraqosh et kurdistan irakienEn cette première quinzaine de juillet, nous avons vécu des jours assez particuliers au monastère de la Vierge Marie, à Souleymanié dans le Kurdistan irakien.

D’abord, autour de nous l’Irak semble en train de s’effriter… Nous avons suivi à la télévision, sur les chaînes arabes et kurdes, le “phénomène” EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) ou da’ash comme on dit ici en arabe (terme utilisé de manière péjorative par les non-djihadistes). L’impression d’une manipulation, bien sûr, quand une ville de deux millions d’habitants comme Mossoul, avec ses dizaines de milliers de soldats, “tombe” pratiquement sans coup férir. L’impression d’une conclusion logique, aussi : les arabes sunnites irakiens, excédés par la discrimination à leur égard, souhaitent se tailler une région à eux, au besoin en s’alliant avec les “terroristes”. Enfin, un questionnement sur notre propre vocation : comment aimer cet Islam qui s’entre-déchire si violemment, comment appartenir à ces Eglises orientales dont les fidèles émigrent, comment nous enraciner dans ce Moyen-Orient qui brinquebale de guerre en guerre ?

Qaraqosh, la “capitale” des syriaques catholiques

Puis la situation nous a touchés directement, quand les combats se sont approchés de Qaraqosh, bourgade chrétienne de la plaine de Ninive à une trentaine de kilomètres de Mossoul, sur la ligne de partage entre Kurdes et Arabes sunnites. C’est la “capitale” des syriaques catholiques, haut lieu de foi et de patrimoine, avec un centre d’études des manuscrits syriaques, de nombreuses communautés monastiques, un évêché… Nous y avons de très nombreux amis. C’est aussi une ville pauvre, débordée par l’afflux de déplacés de Mossoul et du sud depuis 2003, aux services municipaux très mal organisés. Quand les obus de mortier ont commencé à tomber sur la ville, la plupart des habitants sont partis, certains avec les habits qu’ils portaient comme tout viatique…

Le traumatisme du départ

soulémanié familles chrétiennes irakiennes repasLa plupart sont allés au plus proche : Erbil, Dohouk. Mais certains, ne trouvant pas à se loger, sont venus à Souleymanié et c’est ainsi que nous avons hébergé une vingtaine de personnes au monastère. Il y a bien sûr le traumatisme. Deux sœurs ont revu en rêve ou plutôt en cauchemar leur départ précipité de cette ville qui est leur cadre de vie, avec ses relations familiales intenses, ses nombreuses paroisses, ses innombrables activités pastorales : chorales, fraternités, scouts, etc. Parmi ceux qui ont fui Qaraqosh, certains étaient déjà des réfugiés de Mossoul, ayant parfois perdu un frère ou un mari car les assassinats ciblés ont fait rage notamment vers 2007-2008.

enfants monastère souleymanié jeuxDans le jardin du monastère, les enfants jouent à “Da’ach contre Peshmerga” et s’enseignent l’un à l’autre des mots de syriaque et d’arabe ! Pour les parents, il y a l’angoisse de plus long terme : ce pays est-il bien vivable ? Pour y construire une vie, une famille, une carrière ? Les jeunes de Qaraqosh qui étudiaient à l’université de Mossoul ne savent pas s’ils pourront terminer leurs examens, recevoir des certificats, terminer leurs études dans une autre université, etc. Ils me disent : “tu es fou, toi français, de venir t’embourber ici (sic) alors que nous cherchons nous-mêmes à partir”.

La grâce du quotidien

monastère souleymaniéAvec tout cela, nous avons vécu de belles journées de fraternité. Tout le monde s’affairait à la cuisine, au nettoyage de l’église qui n’a jamais été aussi propre, qui était là depuis deux jours expliquait la maisonnée au nouveau-venu. Au-dessus de Souleymanié s’élève le mont Azmar. Un soir nous montons là-haut, nous contemplons les lumières de la ville, nous sortons les jumelles, jouons à reconnaître les quartiers, les bâtiments… Un peu plus loin sur le belvédère il y a une balançoire et un toboggan… il ne faut pas longtemps avant que tout le monde soit dessus en chantant à tue-tête un des chants d’Eglise les plus populaires : “Si vous ne redevenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux”.

Un des réfugiés de Qaraqosh, menuisier de son état, se met à réparer, poncer, repeindre toutes les chaises et bancs qu’il trouve chez nous… Débarquent les enfants des voisins, ils s’arrachent les morceaux de papier de verre, poncent de toutes leurs forces !

Lourdes, une rescapée de Mossoul

Lourdes - enfant chrétien irakienLe lendemain au petit matin nous lisons des psaumes puis le livre de Jonas avec quelques rares éveillés. Je me retrouve à jouer les aventures du prophète de Ninive pour Lourdes, une fillette de Mossoul nommée ainsi en reconnaissance à la Vierge, implorée lors des premiers jours de sa vie… Elle avait la jaunisse du nouveau-né, et c’était une journée noire à Mossoul : interdiction totale de circuler. Elle chez sa mère, sans véhicule, le père avec un véhicule, mais ailleurs. Il prend le volant, monte un mat avec un drapeau blanc, allume la lumière intérieure. Se retrouve vite avec une mitrailleuse américaine sur la tempe, tente d’expliquer, se retrouve embarqué dans un humwee (véhicule de l’armée américaine), les soldats pénètrent dans la maison, trouvent effectivement une fillette malade, amènent tout le monde à l’hôpital. Et finalement elle vit… Bienvenue dans notre monde de fous !

montagnes kurdistan irakien souleymaniéPlusieurs fois, nous affrétons le pick-up Ford offert par “Kirche in Not” (équivalent de l’Aide à l’Eglise en Détresse en Allemagne) et partons avec presque tout le monde, direction les montagnes… Sacs à dos, chaussures, remplissage du réservoir avec des jerricanes, départ à l’aube… C’est toute une liturgie ! Dans la voiture trois membres d’une chorale de Qaraqosh chantent des dizaines d’hymnes syriaques et arabes qu’ils connaissent par cœur. Pour ces gens, habitués à la plaine de Ninive écrasée de soleil et quadrillée de check-points, c’est l’aventure. En fin de journée, nous lisons des psaumes en regardant à nos pieds la plaine et ses dizaines de villages kurdes plonger doucement dans la paix du soir.

Quelques témoignages de chrétiens irakiens

Une mère de famille chrétienne d’une trentaine d’années, ingénieur civil à Souleymanié :

“Ces événements détruisent nos esprits avant même de détruire nos corps. Nous ne savons plus où est le vrai et où est le faux, si nous resterons dans notre pays où si nous l’abandonnerons pour émigrer… nous vivons un temps où l’on ne sait pas en s’endormant si l’on se réveillera avec les explosions, le terrorisme et l’exode.”

Un étudiant chrétien d’une vingtaine d’années, originaire de Mossoul :

“Les Kurdes utilisent le terrorisme d’ISIS (traduction anglaise pour EIIL = Etat islamique en Irak et au Levant) pour prendre le contrôle de territoires dans la plaine de Ninive, au prétexte de les protéger. Ils exploitent ces territoires qui sont irakiens, comme par exemple Kirkouk ou Feshkhabour, en profitant de la faiblesse du gouvernement irakien pour proclamer leur indépendance et former leur propre Etat… Les groupes armés présents à Mossoul n’ont pas tué un seul chrétien et les églises qu’ils ont occupées un moment ont été rendues. L’armée irakienne est confessionnelle, elle ne peut pas protéger le pays en général. Elle bombarde Mossoul au hasard et des dizaines d’innocents meurent.”

Un journaliste kurde d’une trentaine d’années, originaire de Syrie (Kurdistan occidental) :

“Les Kurdes se défendent des attaques d’ISIS et s’étendent dans leurs régions géographiques naturelles, en dépit des conditions de sécurité dégradées dans les autres régions de l’Irak, spécialement après la prise de contrôle par ISIS de certaines zones. Cela provoque des difficultés financières dans la région autonome kurde, en particulier pour les carburants, surtout l’essence, ainsi que l’inflation sur les produits alimentaires. Mais ces difficultés devraient être réglées. En ce qui concerne les chrétiens, il existe un grave danger pour eux dans les régions contrôlées par les rebelles armés extrémistes d’ISIS. Une bonne partie d’entre eux a trouvé refuge dans la région kurde.”

Une chrétienne d’une vingtaine d’années, plaine de Ninive :

“Ces événements nous affectent psychologiquement ! C’est de mal en pis… Nous sommes privés même des droits les plus simples comme l’accès à l’eau, à l’électricité, aux carburants, etc. Mais les événements n’affectent pas les Kurdes. Les plus affectés sont les chrétiens en général.”

Une chrétienne de Qaraqosh, étudiante en médecine :

“Les Irakiens sont un peuple qui vit dans la tristesse, à toutes les étapes de leur vie. Mais en même temps ils disent toujours “al hamdu lillah” (louange à Dieu). C’est peut-être une preuve de leur force. Sans doute, d’autres peuples ne supporteraient pas les conditions que traversent les Irakiens ici.”

Fr. SebastienFrère Sébastien est diplômé d’HEC et a travaillé pour le quai d’Orsay.
Il a également traduit de la poésie afghane et a créé un site internet de poésies orientales. Il est devenu moine de la communauté monastique Al-Khalil en 2011, tout d’abord au monastère de Mar Moussa en Syrie puis à celui de Maryam-Al-Adhraa (« de la Vierge Marie ») à Souleymanieh dans le Kurdistan irakien.

 

Voir aussi :
Vivre la paix et le dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans au Kurdistan irakien
“Heureux les artisans de paix”, hommage au père Frans van der Lugt
Dossier Moine au Kurdistan irakien

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