« Alors ces vacances, il a fait beau ? »

Soeur Marlene est moniale des Fraternités Monastiques de Jérusalem. Dans ce nouvel épisode du Journal d’une jeune religieuse, elle interpelle notre rapport à la météo.

“Tu as eu beau temps ?” C’est probablement la première question que tes amis et collègues ont posé après ton retour des vacances.

Au cours d’un pèlerinage de dix jours avec deux autres sœurs de ma communauté, dans les montagnes de la Carnia, en Italie du Nord, j’ai expérimenté cet été, que cette attente inflexible du beau temps était, pour moi aussi, très réelle.

En plus du désir de pouvoir faire le plein du soleil, de « voir » quelque chose du paysage magnifique qui nous entourait, cette impression d’un dû – « il devrait faire beau » ou « avec le soleil ça aurait été magnifique » – m’a frappée.

“Vous êtes les hôtes de la montagne, et non les maîtres”

Dans un refuge, sur 2200 mètres, non loin du Monte Peralba, la région, où le pape Jean-Paul II passait chaque année ses vacances, j’ai vu accroché sur le mur, tout en bois, un petit écriteau, en bois, lui aussi. Et on peut y lire cette citation : « Siete gli ospiti della montagna e non i padroni » (Vous êtes les hôtes de la montagne, et non les maîtres).

Je pensais au chemin parcouru, à tant de montées et de descentes dans la pluie, le brouillard, les nuages qui nous suivaient partout où on allait. Je songeais aussi aux discussions entre nous, sur le chemin, à chaque fois, que nous étions sur un col ou près d’un point de vue magnifique, où – à cause des conditions intempestives de la météo – nous ne pouvions justement pas satisfaire notre besoin de « voir ». Voir plus loin, voir le pays, s’émerveiller des autres pics des Dolomites autour, et profiter de ces moments, où rien n’arrête le regard.

Non, cette fois-ci, c’était autrement.

Voir autrement

Déconcertant, et réconfortant à la fois. Déconcertant, car je suis tellement habitué à juger par mes yeux, à me servir du regard pour m’arrêter aux réalités extérieures. Tant d’impressions qui s’imposent à moi par la vue, au travail, dans mes allers et venues, dans la communauté. Il est difficile de faire taire ce sens. Comment inviter le silence dans mon regard, dans mon désir de voir, de contempler, de percer, de réaliser, de dé-couvrir ce qui m’entoure ? Déconcertant, car j’étais obligée de me tourner vers cette autre réalité – invisible, et beaucoup moins attractive que les paysages bucoliques des Dolomites – cette réalité que je ne connais guère, qui m’est encore tellement peu familière : ma vie intérieure. Et cet hôte divin, qui l’habite et qui s’y plait même – quel mystère !

Réconfortant, parce que l’invitation à me considérer comme hôte dans un pays étranger, et non l’occupant ou le maître, m’aide à me défaire petit à petit de mes attentes et exigences démesurées et parfois si arrogantes. Nous sommes des étrangers et voyageurs sur cette terre, dit l’épitre aux Hébreux. Oui, ça a été une vraie expérience de libération, un exode, conduit par un Autre, protégé par une nuée obscure, mais combien lumineuse. Il a raison, l’apôtre Paul : Aujourd’hui, nous voyons en énigme, mais alors, ce sera face à face. A présent je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. (1 Co 13, 12)

Marlene Scheuerer est  moniale aux Fraternités Monastiques de Jérusalem

Voir aussi :
“Marche, c’est prier avec les pieds”
La vie communautaire
Le Carême, le temps du désir
L’appel, pourquoi moi